Marguerite Messier
Marguerite voit le jour le 24 mai 1676 à Montréal. Elle est la neuvième enfant de Michel Messier et d’Anne Lemoyne. Âgée de trois ans, Marguerite déménage avec ses parents à Varennes. Moins de deux mois après son quatorzième anniversaire, le 24 mai 1690, elle épouse, à Boucherville, Pierre LeSueur, un explorateur, un trafiquant, un coureur de bois et juge qui marquera l’histoire de la Nouvelle-France. À son mariage, Michel lui donne en dot le fief de la Guillaudière, voisin de la Seigneurie du Cap-St-Michel, acheté quelques années plus tôt. C’est à Montréal, rue St-Paul que le couple s’installe. De cette union, naissent à Montréal, un fils et quatre filles: Marie-Anne, le 15 février 1693, Louise-Marguerite, le 3 juin 1694, Marie, le 21 avril 1696, Jean-Paul, le 1 juin 1697 et Marguerite LeSueur, le 4 juillet 1699. Ils sont tous baptisés à l'église Notre-Dame de Montréal. Jean-Paul décède le 13 octobre 1751 à La Mobile, en Louisiane. Marguerite LeSueur épouse Nicolas Chauvin, sieur de LaFresnière, fils de Pierre et de Marthe Hautreux, le 23 juillet 1724 à Mobile.
Marguerite ne connaît pas la vie de couple longtemps. Elle doit veiller sur les affaires de son mari; celui-ci est souvent parti explorer de nouvelles terres. Les affaires de Pierre LeSueur le font voyager entre la France, la Nouvelle-France et la Louisiane. Il fonde quelques forts sur le Mississippi, cherche des minéraux et fait la traite des fourrures. En 1702, il est en France et demande aux autorités la permission de faire venir sa famille à « La Mobile », en Louisiane. L’accord est accepté par un mémoire royal adressé à Vaudreuil et daté du 14 juillet 1704.
Marguerite n’attend pas l’autorisation officielle pour partir. La grande paix de Montréal, signée par monsieur de Callières avec toutes les tribus d’Indiens de l’Est de l’Amérique, rendait le voyage moins périlleux.
Pour se rendre en Louisiane, elle doit profiter au maximum de la belle saison. Au printemps de 1704, Marguerite, âgée de vingt-huit ans, est en pleine préparation de départ. Le 30 avril, elle est chez le notaire et engage François Benoît, Julien Choquet et Antoine Foisy pour la conduire avec ses cinq enfants à « La Mobile ». Le contrat stipule qu’ils doivent la servir et lui obéir jusqu’à l’arrivée en Louisiane. Ils seront nourris et recevront un salaire; rendus à destination, elle leur remettra alors un canot pour leur retour au Canada. Il est mentionné également que le voyage doit durer un an avec une clause de prolongation si nécessaire.
Le 2 mai, Marguerite engage son frère Jean-Michel. Il accompagnera le groupe jusqu’à destination. Ils quittent Ville-Marie avec d’autres voyageurs au début de mai, en route vers le golfe du Mexique.
Fin mars 1705, dix mois après leur départ, les voyageurs voguent sur la rivière des Illinois près du Mississippi. Au fort Pimitoui, ils font une halte où la présence de Marguerite est remarquée. Tous veulent voir cette femme. Les commentaires sont éloquents. Les Indiens de la place disent : « Quand le père Gravier, notre missionnaire, nous parlait de la Vierge Marie comme étant une très belle femme, nous n’aurions pas cru rencontrer un jour, une femme qui aurait la beauté de la mère de Dieu décrite par notre missionnaire. Les enfants de cette femme sont également aussi beaux que l’enfant Jésus illustré sur les images. »
Une Indienne, ayant vu la voyageuse, fit la remarque suivante : « Comparées à celle-ci, les nôtres sont des monstres ». Afin d’avoir un peu de tranquillité, le commandant de la place demande à Marguerite de se tenir à la porte du fort. Elle est ainsi assise deux jours, à l’extérieur du fort, pour satisfaire la curiosité des gens. Une description de Marguerite nous est donnée dans les mémoires de De Gannes. Ce document, aujourd’hui conservé à Chicago, dont l’auteur est Pierre des Liettes, la décrit comme une personne « fort grande, menue, fort blanche, très élégante et le visage assez bien fait ».
Arrivée à La Mobile, cette femme n’est pas au bout de ses peines. Elle apprend que son mari Pierre LeSueur est décédé en mer à l’été de 1704. Son frère Jean-Michel et sa fille Louise Marguerite (née le 4 juin 1694 à Montréal) sont également décédés à son arrivée à La Mobile. Voici une lettre que Marguerite a fait parvenir à Maurice Blondeau, marchand de Montréal.
au fort Louis de la Louisiane ce 21 mai 1706
Monsieur
Vous scavez le triste sort qui m’est arrivé icy, au lieu de la Joye
que i’esperais avoir icy aupres de mon mary, Je n’ai trouvé que
sujet de pleurs et d’affliction en aprenant sa mort a mon arrivee. J’en
ay mesme été malade moy et tous mes enfants et ay de plus perdu mon frere
de St michel et ma fille Louison, il m’est impossible monsieur de m’en
retourner et de quitter ce pais quelque desagrément qu’il doive a present
avoir pour moy, ainsi monsieur Je vous prie de vouloir bien faire
vendre ma maison, Les terres et tout ce qui peut me rester en Canada, vous
avez mr tous mes papiers et Je vous prie de me faire scavoir comment
vous avez vuidé de comte avec mr de vincennes et avec mr potier et
comment vont toutes mes autres affaires. Que si vos propres affaires
vous occupent et vous empesche de vaquer a mes petites affaires
comme vous estes souvent absent, je vous pris de vouloir prier m
charly de s’en charger et de luy remettre tous mes papiers entres ses (mains)
apres vous estre paié de toutes vos peines Je suis
Monsieur
Vostre très humble
et très obéissante servante
veusve Lesueur
Je salue mademoiselle vostre
epouse
Comme vous le constatez, le dictionnaire de la langue française n’existait pas à cette époque. Le premier fut édité environ quatre-vingts ans plus tard.
Marguerite donne une procuration à M. Charly pour vendre ses biens au Canada. C’est Me Roguet, notaire à La Mobile, qui rédige la procuration le 10 septembre 1720. M. Charly s’est également occupé de ses affaires. Le 17 février 1723, devant le notaire Rainbault, elle vend son fief et sa maison de Montréal à Maurice Blondeau. Elle est décédée le 5 mars 1741, au fort Louis de La Mobile.